Le fils est de retour. Il est revenu « entier ». Enfin… ils sont revenus… Après deux années de guerre en Afghanistan. Nasser, Pedro, Julien et d’autres l’accompagnent. Ils formaient un trio inséparable.
Jean redécouvre son île. Il n’y trouve plus sa place. Le regard de tous sur l’ombre de fauve blessé l’interpelle. Il porte en lui une violence qui finira pas éclater à la première occasion. L’aubaine s’est vite présentée. Son ex fiancée l’a oublié pour un « imbécile aux gros bras » Une provocation du nouvel élu, les relents de la guerre, l’élan d’une force déchainée le submergent. Et c’est l’affrontement.
S’ensuit une brève rencontre avec « la fille ». L’auteur a su taire les mots doux ou les mots durs. La délicatesse des propos valide la rupture entre les anciens amoureux.
Il y a longtemps, le père de Jean est revenu d’une autre guerre et une envie de montagne pour évacuer les « saloperies » comme il dit. L’expérience du passé rejoint les escapades du jeune homme.
Jean est-il totalement de retour ? Il est si déconnecté du quotidien que la solitude en devient inévitable. Une part de lui existe encore là-bas : L’engagement guerrier après l’entrainement extrême dispensé par un Clint plus vrai que nature. La satisfaction de se sentir fort, assouvir sa propre virtuosité dans l’art du combat. C’est un tueur, un « sniper ». Ses souvenirs sont des réminiscences des terribles jours de guerre avec ses frères d’armes. Les épisodes d’embuscades, les mines artisanales, l’envie d’en découdre et de tuer. Il est obsédé par ce pays pétri de guerre.
A ce propos, l’auteur décrit justement les mécanismes du corps, de l’esprit et du mental. Le mental qui dirige le corps et nie l’esprit. Le mutisme qui raconte trop de choses.
A travers le personnage principal de son roman, Jean-Pierre Parrochetti pose un regard sans concession sur les manières, les idées et les aprioris d’une certaine classe sociale. Celle qui se croit au-dessus du commun des mortels tout en méprisant ou enviant les vrais nantis. Ceux qui se sentent « à part » parce que natifs de l’île. Il expose sa hargne contre l’église et ses serviteurs carriéristes. Il s’interroge sur le sens de la vie à travers des épreuves bien plus insupportables que les mesquineries des gens ordinaires. Il décrit avec aigreur un monde blasé et dénaturé, sans oublier tous ces visiteurs, ces touristes béats, en réalité sans consistance l’été terminé. Mais peut-on leur en vouloir d’être heureux au paradis ?
A contrario, il dévoile la nature vivante avec délicatesse. Affleurant tout au long du récit : l’île et ses montagnes salvatrices. les descriptions de la nature, du maquis sont toujours empreintes de beauté et de poésie. L’écriture est extrêmement fine lorsqu’elle décrit une ambiance de brume, l’approche de la neige, la fournaise du soleil lorsque recule l’ombre d’un versant. Le bruissement des frondaisons et le tintement des pierres qui roulent.
L’unité du groupe lui fait défaut. Jean délire, se perd dans des mirages, s’accroche à ses obsessions. Toutes ces attitudes traduisent son mal-être. Son psychologue éprouve quelques difficultés à trouver ce dont ce patient a besoin pour s’extraire du passé. Derrière la fureur affichée, c’est la culture de Jean en matière d’histoire qui fera le lien. Un livre : Rome, Carthage et les guerres Puniques.
Les courses de Jean, seul dans les pentes, les ravins, la forêt, les caillasses, la pluie et le vent, contribuent à calmer son angoisse. Il se ressource au sein de la montagne. Pourtant, La paranoïa le guette. Les ombres se transforment en ennemis. Les lieux se confondent dans sa panique. Il est submergé. Il ne parviens pas à accepter son pays vivant des plaisirs de l’été et du quotidien de ses habitants.
Lorsqu’il le rencontre par hasard dans le maquis « Le Vieux » sait tout de lui. Jean se questionne à son sujet : qui est-il ? Puis l’ancêtre se dilue dans le brouillard. Il le retrouvera trois fois, toujours à ses plus profonds instants de confusion. Une apparition, comme un antique Merlin, une âme errante perdue dans un cours d’eau, entre nuée cotonneuse et rayon de soleil. Cette ambiance surnaturelle touchent l’imaginaire et « Le Vieux » devient tangible.
L’Orient le tire à lui toujours et encore. Avant son retour il fait une halte de transition en Turquie. Par bonheur, Istanbul ! Luxe et volupté pour s’écarter de la guerre et se rappeler le raffinement de la rêverie. En compagnie de ses deux amis pendant cette escapade, il retrouve la nostalgie de la féminité. Cette part unique que la femme ou l’espace féminin partage avec qui le désire. Son cœur retrouve sur le Bosphore, aux côtés de la belle Birsen aux yeux verts, une idée de la douceur.
Retour chez le psychologue. Ils se sont compris, le dialogue devient possible. Jean démêle le fil de ses angoisses et de sa douleur, la verbalise enfin. Avec l’aide du psy il admet que l’horreur des combats existe depuis la nuit des temps. Il croise avec plaisir quelques connaissances : Eva. Une écorchée de la dernière guerre mondiale. Etincelante et aiguisée comme un cristal. Fragile ? Pas sûre. Si semblable à Jean. Une superbe description de l’auteur à son sujet : « Une petite fée fanée habitée par la Méduse ». Jacky derrière son bar. Figure de proue sur le navire de la ville décadente. Jean repart enfin. Un soulagement ? Une fuite ? Il s’envole vers l’Orient. Birsen sera peut-être là. La finesse des sentiments exprimés dans le livre est incontestable. Néanmoins, il faut parfois relire un même paragraphe pour être sûr de qui prend la parole. Une de mes œuvres favorites dans la collection « OMARA ».
De la fureur – Jean-Pierre Parrocchetti – Omara Editions